On sait peu de chose sur le jeu et la mise en scène des mystères monumentaux qui ont marqué la vie sociale de nombreuses villes, en particulier dans le royaume de France, mais aussi dans les espaces flamand et germanique, en Provence, en Savoie et au Piémont, aux XVe et XVIe siècles. Représentations démesurées qui pouvaient durer jusqu’à huit jours d’affilée, pendant lesquelles les portes des villes étaient fermées et gardées, leur mise en scène sollicitait des moyens techniques et des effets spéciaux toujours plus spectaculaires : pyrotechnies, voleries, projections lumineuses ou olfactives, artifices en tous genres. En même temps, à la différence d’autres cultures, comme en Inde ou au Japon, les pratiques dramatiques médiévales européennes n’ont apparemment pas été consignées dans des traités théoriques ni maintenues jusqu’à l’époque moderne au sein d’écoles, de compagnies familiales ou de traditions professionnelles. Il est donc difficile d’en approcher la réalité concrète.

Le projet Valenciennes (1547) 3D consiste à utiliser les possibilités offertes par l’image composite pour proposer plusieurs séquences de la dernière et la plus spectaculaire des Passions françaises documentées, à partir de manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France. Il ne s’agit pas d’une reconstitution mais de la réalisation d’un film expérimental destiné à rendre sensible la performance dramatique et à explorer les problèmes concrets d’une mise en voix et en espace des mystères monumentaux. Ce film est présenté et projeté comme élément de l’exposition Pathelin, Cléopâtre, Arlequin – Le théâtre dans la France de la Renaissance qui se tient au Musée national de la Renaissance, au château d’Écouen, du 17 octobre 2018 au 28 janvier 2019.

Valenciennes (1547) 3D est porté par l’Université de Toulon (Laboratoire Babel) et Telomedia, avec les participations scientifique et financière du Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris (Lamop, Paris 1-Cnrs), du Laboratoire de linguistique Clesthia (Paris 3), du Musée national de la Renaissance, et de la Société des Amis du Musée national de la Renaissance.

Le projet est dirigé par Xavier Leroux (Laboratoire Babel, Université de Toulon), Olivier Halévy (Laboratoire Clesthia, Paris 3) et Darwin Smith (Lamop, Paris 1-Cnrs), avec les partenariats de Xavier Mailhos, directeur de la DSIUN/Plateforme Telomedia (Université de Toulon), et de Thierry Crépin-Leblond, directeur du Musée national de la Renaissance d’Écouen.

Réalisateur et Concepteur Xavier Leroux
Co-concepteurs Olivier Halévy, Darwin Smith
Assistants de mise en scène Abdel Bouchama, Charles Di Meglio
Assistant réalisateur Guillaume Malavoy
Prise de vue Nathalie Lepinay, Mehdi Salmi, Héloïse Sbernini
Assistant vidéo Olivier Grégoire
Régie vidéo Gaëlle Le Guennec
Montage Nathalie Lepinay
Assistante montage Gaëlle Le Guennec
Réalité virtuelle Manuel Seilhes
Mixage son Nathalie Lepinay
Accessoiriste Marina Guillet
Maquilleuse et assistante de jeu Audrey Mayer
Décor Prélud
Costumes Charles Di Meglio
Musique, chorégraphie et bruitage Emmanuelle Huteau
Conseiller en médianumériques Laurent Collet
Moyens techniques Telomedia – Université de Toulon
Site Internet Pierre Broch@rd, Mathieu Beaud
Comédiens Adrien Agoupian (Saint Pierre), Marius d’Alexandris (Le Petit Roy et Lucifer), Luca Barber (Judas), Jules Benenati (Jésus), Nemo Brundu (Samaritain II et Marin), Valentine Dauchy (Oyante I), Charles di Meglio (Satan et le ménestrel), Guillaume Duboy (Le Fils du Pety Roy), Baptiste Gonzalez (Samaritain IIII et Oyant), Emmanuelle Huteau (La Samaritaine), Eugénie Latona (Serviteur II), Eva Latona (Serviteur I), Xavier Leroux (Orateur), Guillaume Malavoy (Porteur du puits), Gabriel Moch (Samaritain I), Maëva Moullec (Samaritaine IV), Alexis Polenne (Saint Jean), Clémence Pourquier (Oyante II), Thomas Roger Devismes, (Léviathan), Marine Romero (Samaritaine II), Blandine Théobald (Samaritaine III), Candice Vernay (Samaritaine I)

L’ÉVÉNEMENT — La Passion jouée à Valenciennes en 1547

Le lundi de Pentecôte 1547, dans les vastes jardins de l’hôtel du gouverneur de Valenciennes, commence une représentation de la Passion en vingt-cinq journées non consécutives. On ignore quand la représentation s’est achevée. Soixante-trois acteurs endossent 169 rôles, les rôles de femmes étant distribués entre jeunes filles et jeunes hommes. La représentation est organisée et dirigée par treize superintendants, dont certains sont conducteurs de secrets (effets spéciaux), tous issus de l’élite urbaine. Le prix des places par séance est de 6 deniers au parterre et 12 deniers en tribune, soit l’équivalent, en tribune, d’une journée de salaire d’un travailleur non qualifié. Avec 5.409 livres 7 sous de recettes, sur la base d’une répartition arbitraire de 2/3 de places au parterre et 1/3 en tribunes, le chiffre de 140.421 entrées payantes a été avancé, soit 5.616 par journée de représentation (Louis Petit de Julleville, Les Mystères, 1880, tome 2, p. 153). Le solde des recettes et dépenses dégage un bénéfice net de 1.230 livres, 2 sous et 9 deniers, partagé par les organisateurs (1 livre = 20 sous, 1 sou = 12 deniers).

LES MANUSCRITS

Le peintre Hubert Cailleau, qui a participé comme décorateur à la représentation, réalise au moins deux copies du texte, chacune précédée du Theatre ou hourdement pourtraict comme il estoit quand fut jouee le Mistere de la Passion Nostre Seigneur Jesus Christ – anno 1547. Cependant, on ne possède aucun document relatif au dispositif de jeu. De rares estimations de mesure sont données par deux didascalies au texte de la Passion : lors de l’Ascension, Jésus doit s’élever à « environ 40 piedz de hault » (11,60 mètres) et, lors de la tentation au désert, il avait été porté par Satan au-dessus de la montagne « bien 40 ou 50 piedz de hault » (14,50 mètres). Selon les estimations d’Élie Konigson (La représentation d’un mystère de la Passion à Valenciennes en 1547, Paris, Édition du CNRS, 1969, p. 51), le hourdement aurait mesuré environ 58 mètres de long sur 17,50 mètres de large. Par comparaison, à Saint-Jean-de-Maurienne, en 1573, d’après un contrat de charpenterie, le plateau de scène de la Passion, en forme de croissant de lune, mesurait 104 mètres de long sur 7 mètres de large (Graham A. Runnalls, Les Mystères dans les provinces françaises, Paris, Champion, 2003, p . 181).

Le Theatre ou hourdement pourtraict comme il estoit quant fut jouee le Mistere de la Passion Nostre Seigneur Jesus Christ – Anno 1547 (Paris, Bibliothèque nationale de France, manuscrit Rothschild 3010)

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Mise en place

Le projet procède d’une double interrogation : comment comprendre la scénographie et les pratiques théâtrales des formes médiévales et renaissantes à partir de leurs textes, et comment restituer cette compréhension dans le jeu dramatique, qui plus est dans un jeu filmé ? Les exigences interprétatives des trois modalités – narrative, dramatique, cinématographique – pour une même histoire et un même texte, ne se superposent pas nécessairement dans leurs résultats. Il a parfois fallu adapter ce qui était compris dans le texte pour rendre mieux lisible ou visible l’action sur le plateau et à l’écran. La réalisation du projet s’est déroulée en trois étapes, de juillet 2017 à septembre 2018.

DU MANUSCRIT AU SCRIPT

Le Manuscrit

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Transcription diplomatique

La Samaritaine
Ou prenrois tu cheste eauwe grande
en effect / le puis est proffond
se ne as corde / par trop nephande
est ta parole / quy se rompt
en son sens propre se conrompt
es tu plus grand que nostre pere
Jacob lequel chestuy puis prompt
fouy / par un divin mistere
se en but / le oeuvre en est assés clere
aussy ses filz samblablement
et bestes / chela te refere
et tu te presume amplement
de donner eauwe vivement
se ne as de quoy pour le puisier

Jhesus
M’amye escoutes seulement...

Le Texte Audio

choisir les séquences et préparer le texte

Un premier choix sur le désespoir et la mort de Judas (20e journée), qui met l’accent sur la performance d’acteur, a finalement été écarté en faveur d’un groupe de scènes tirées de la 11e journée : un dialogue (Jésus et la Samaritaine), une diablerie, un sermon (pour se confronter à une scène statique), un miracle et un mouvement collectif. Parmi les scènes emblématiques des Passions et grands mystères urbains, manquent un épisode au Paradis, avec Dieu trônant, adossé au soleil, entouré d’un chœur d’anges, et une scène de tortures.

Il a fallu préparer le texte : délimiter les parties à jouer en langue originale d’après le texte manuscrit qui n’a été l’objet d’aucune édition scientifique ; découper, transcrire et souder les parties retenues ; remanier les vers inintelligibles ; réécrire partiellement le prologue (Adaptation du manuscrit).

Dans les manuscrits il a fallu relever les didascalies externes et internes pour identifier tout ce qui est relatif à la mise en scène : ce sont les propos de Satan dans la diablerie qui indiquent sa présence muette dans les autres séquences. Certains signes dans les marges sont des indications performatives : ainsi, un minuscule ‘crochet’ à l’encre rouge (voir Darwin Smith, «Les manuscrits de théâtre». : Gazette du livre médiéval, 33, 1998, p. 1-10.) indique qu’au moment où Jésus répond « De che te taicz » au Petit Roy suppliant, doit instantanément se manifester le miracle de la guérison de son fils dans un lieu scénique distant : pour la mise en scène on peut imaginer, par exemple, que le fils du Petit Roy doit soudain se dresser dans son lit.

Un crochet

Construire la musique

On a très peu d'éléments précis sur la musique dans la Passion de Valenciennes, mais on sait qu'elle joue un rôle très important dans le théâtre de cette époque. Elle est présente sous plusieurs formes: musiques vocales, musiques instrumentales, bruitages et silences. Un petit orchestre est présent sur scène dans une salle en-dessous du Paradis ("Lieu pour jouer Silete"). La musique et les bruitages constituent un fil sonore qui guide l'attention des spectateurs dans la multiplicité des espaces scéniques (Darwin Smith, «Aspects de l'écriture dramatique en France au XVe siècle : fil sonore, mime, polytopie et mass media», Ludica, annali di storia e civiltà del gioco, 23, 2017, p. 157-180).

Des chansons et des musiques polyphoniques produites à l'époque de la Passion de Valenciennes ont été choisies pour illustrer différents moments de l'action.

réaliser les costumes

Une vingtaine de costumes ont été spécialement réalisés sur la base des peintures des manuscrits, à partir des ébauches et avec les mensurations des acteurs en essayant de respecter au plus près les codes coloristiques d'origine.

Les diables

Les diables sont une des grandes attractions des mystères. Ce sont les seuls à être masqués et leurs costumes extravagants, leurs gestes désordonnés, leurs déplacements tantôt lents, tantôt rapides, illustrent la confusion profonde de leur nature : ce sont des anges déchus qui ont été renvoyés par Dieu au chaos d'avant la Création. L'Enfer ou ils résident quand ils ne sont pas en mission sur Terre, est un lieu bruyant où on fait périodiquement des "tonnerres de tous les diables" et des feux d'artifice. On ne possède aucun masque original de diable de l'époque des mystères. Pour Lucifer, Satan et Leviathan, on a choisi d'utiliser des masques fabriqués aujourd'hui à Bali dans la tradition Topeng qui nous paraissait fonctionner avec nos besoins.

les accessoires

Le puits où la Samaritaine va chercher son eau a été construit spécialement par l'entreprise Prelud sur le modèle de celui du manuscrit. Les autres accessoires nécessaires (casques, hallebardes, filet de pêcheurs) ont été empruntés au Musée et site archéologique d'Olbia.

établir la scénographie

Plusieurs étapes et documents ont été nécessaires pour préparer la réalisation de la scénographie et le tournage.

Le conducteur permet d'avoir une vue synoptique de l'ensemble des éléments du décor, en rapport avec l'action, les figurants, les accessoires, le texte et le minutage. Ce document de travail est accessible par ce lien.

Le storyboard permet de définir les epaces nécessaires au tournage, les mouvements des personnages et adapter les choix au langage filmique par les cadrages et l'alternance des plans. Ce document de travail est accessible par ce lien.

La scénographie indique l'implantation des espaces de jeux dans le lieu de tournage de Télomédia. Ce document de travail est accessible par ce lien.

Dans un premier temps, il avait été envisagé de tout filmer dans un plan large correspondant à l’ensemble du hourdement, ce qui permettait de rester plus près des déplacements et des effets de la représentation théâtrale. En revanche cette solution avait l'inconvénient de réduire la lisibilité de l’action. Au final, il a été décidé d’adapter le langage dramatique du mystère au langage filmique contemporain en opérant un montage variant les cadrages et intégrant même quelques mouvements de caméra.

DE LA RÉPÉTITION THÉÂTRALE AU TOURNAGE

Dans le courant de l’année 2017-2018, des répétitions ont lieu dans les locaux de l’université pour l’apprentissage des rôles et des déplacements. Un travail préparatoire sur la gestuelle est également fait au moyen de tutoriels.

Tournage

Le tournage, sur une semaine complète (16 au 20 avril 2018), a nécessité plus de trente personnes dont une dizaine pour l’équipe technique de Telomedia et une vingtaine de comédiens. Les comédiens ont été maquillés et costumés, les décors installés ou construits sur place.

De juillet à octobre 2018, a eu lieu le montage et l'inscrustation des décors reconstituées librement à partir des manuscrits sur le fond vert du tournage.

Pour citer ce film : La Passion de Valenciennes 1547, mis en ligne le 24/10/2018, consulté le 19/04/2024. URL : http://www.passion-de-valenciennes-1547.fr/ .

La vidéo ainsi que l'ensemble des documents sont accessibles en téléchargement

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